Entre Les Lignes

La revue littéraire du festival Terres de Paroles

Entretien(s)

COMBAT(S)

Anne Monfort No(s) révolution(s)

Dans son dernier spectacle, Anne Monfort embarque le spectateur dans un voyage au cœur de l’imaginaire révolutionnaire. Avec à la clef cette question récurrente : à quels besoins, quelles attentes, correspond aujourd’hui encore l’idée même de révolution ?

En insistant sur le possessif, le titre de votre spectacle, No(s) Révolution(s), pose semble-t-il d’emblée une relation à la fois personnelle et collective avec l’idée de révolution. En même temps, il relativise et démultiplie la notion même de révolution, comme s’il s’agissait au fond de mettre en question ce que chacun de nous est susceptible d’entendre par ce mot tellement chargé de sens. Est-ce bien de cela qu’il s’agit ?

Le titre est aussi une référence à Godard. Mais c’est vrai que dès le début le projet s’est élaboré autour d’une réflexion sur cette question en partant du constat que nous avons des imaginaires différents de la révolution. Par exemple en France nous sommes fiers d’avoir fait la révolution, avec à l’esprit ce temps fort de l’histoire que fut la Révolution française, temps marqué tout de même par une grande violence avec la terreur, les exécutions, la guillotine. Les Portugais ont, en revanche, une image très positive, non sanglante, de la révolution, liée, bien sûr, à la Révolution des Œillets qui mit fin à des années de salazarisme. Les Allemands ont une image plus imposante où dominent les mouvements de foule. Mais au-delà de ça il y a aussi les révolutions qu’on fait et celles qu’on ne fait pas. Enfin la question se pose de savoir si ce mot est encore adapté aujourd’hui à ce dont on voudrait parler.

Vous avez fait appel pour cette création à deux auteurs, l’Allemande Ulrike Syha et le Portugais Mickael de Oliveira. Qu’attendiez-vous d’eux ? Que leur avez-vous demandé ?

Ce sont des personnes que je connais bien et avec lesquelles je partage des affinités esthétiques. En ce qui concerne Ulrike, j’ai déjà traduit plusieurs de ses pièces. Quant à Mikaël, il m’a invitée plusieurs fois à Lisbonne. Ce que j’apprécie chez eux, c’est que tous deux ont un rapport un peu décalé aux récits. Ulrike travaille beaucoup sur des récits enchâssés où ce qui se joue ou s’incarne sur le plateau est différent de ce qui est raconté. J’aime beaucoup ce dédoublement où alternent fiction et pensée. Dans les textes de Mikael, je suis très sensible à la façon dont souvent un personnage survient vers la fin pour réinterpréter tout ce à quoi on vient d’assister. Ce qui m’intéressait dans ce spectacle, c’était d’avoir une parole contradictoire. Or c’est exactement ce qu’on trouve dans leur théâtre. Ce qui est aussi très important pour moi, c’est le fait que, dans leur écriture, le rapport au politique n’est jamais frontal. Cela passe plutôt par l’intime ou à travers Monsieur tout-le-monde que par des personnages héroïques. L’image révolutionnaire y est traitée sans emphase à partir du quotidien.

Ce qui veut dire que vous ne mettez pas en scène des révolutionnaires ?

J’avais envie d’un spectacle qui pose des questions plus larges. D’abord on ne sait pas si les comédiens qu’on voit sur le plateau sont des personnages ou si ce sont des acteurs. Il fallait absolument garder cette présence d’acteurs. Ils ont gardé le même prénom que dans leur vie de tous les jours. Ce ne sont pas des figures héroïques, mais des gens de notre époque, qui partagent le même univers que nous, le même espace.

Ce serait quoi aujourd’hui faire la révolution ? Est-ce que le mot n’est pas galvaudé, au point qu’on ne sait plus vraiment ce qu’il recouvre ? Qu’est-ce qu’on met du coup à la place ? Où se trouve aujourd’hui le ferment « révolutionnaire » ?

C’est une question que nous nous sommes posée bien sûr. Je pense notamment à cette remarque de l’historienne Sophie Wahnich qui se demande « comment expliquer en France le manque de sursaut révolutionnaire ? ». Nous y avons beaucoup réfléchi avec Maud Chirio, elle aussi historienne, en nous interrogeant sur l’imagerie révolutionnaire. Alors, certes aujourd’hui le mot « révolution » est démonétisé. Mais en même temps il y a eu la flambée des Printemps arabes, où tout d’un coup sans que personne ne l’ait vu venir des peuples se sont soulevés montrant leur capacité à s’autodéterminer alors que nous en bon post-coloniaux nous ne les en croyions pas capables. Mais effectivement ce mot, « révolution », est à la fois trop lourd et galvaudé – on parle de cafetière ou de machine à laver « révolutionnaires ». Jusqu’à la Manif pour tous qui s’en est emparé. La révolution telle qu’on l’a connue est derrière nous. Il faut inventer autre chose. Le texte d’Ulrike évoque notamment de façon détournée les Anonymous, mouvement sur lequel elle a beaucoup travaillé, et qui est un bon exemple d’activisme contemporain.

Comment avez-vous structuré le spectacle ?

Nous avons travaillé avec Maud Chirio et avec les auteurs sur la dramaturgie des révolutions : de la révolution anglaise aux Printemps arabes. Il y a des constantes : à chaque fois un texte ou un manifeste est écrit ; un personnage important revient d’exil ; il y a un affrontement entre des frères ennemis ; il y a des martyrs et enfin il y a la masse silencieuse. On a travaillé à partir de ça, mais le texte du spectacle s’est élaboré sous forme de d’allers-retours au fil de nos recherches. Le spectacle ouvre sur un groupe d’acteurs en train de répéter, qui peu à peu deviennent un groupe d’activistes. La deuxième partie est plus visuelle, ce sont des tableaux inspirés de symboles de l’imaginaire révolutionnaire. La dernière partie revient au groupe en se posant la question de ce qui se passe après la révolution.

Vous avez traduit en français le théâtre de Falk Richter, dont vous avez aussi mis en scène certaines œuvres. Ses interrogations sont proches de celles que vous abordez dans ce spectacle…

Oui, c’est vrai, il y a des choses proches de ça dans ses thématiques, mais Falk Richter a un rapport beaucoup plus frontal à ces questions. Dans Rausch (Ivresse), par exemple, il a cherché à mettre en scène le mouvement Occupy. Ce que je trouve très fort dans son travail, c’est que rien n’est ni tout blanc ni tout noir, il n’y a pas les bons d’un côté et les méchants de l’autre. Les activistes de Rausch en particulier ont quelque chose d’un peu ridicule qui les rend touchants dans leur enthousiasme. De même le héros de Sous la glace qui a lui-même longtemps participé à ce qu’il dénonce, un peu comme s’il était à la fois bourreau et victime. Mais dans No(s) Révolution(s), l’approche est différente. On a plutôt travaillé sur des figures, des types, comme l’Intello de service, l’Activiste, l’Egérie, le Monsieur tout le monde. Il revient aux acteurs de traverser ces différentes figures. Ainsi un même comédien pourra, par exemple, jouer l’Activiste puis exprimer ensuite la « masse silencieuse ».

 

No(s) Révolution(s) © Simon Gosselin

Hugues Le Tanneur

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