Texte(s)
Davide Carnevali
Portrait d'une femme arabe qui regarde la mer : "Les hommes et la femme parlent différentes langues, que nous ne connaissons pas, que nous ne pouvons pas identifier. Pour nous, ce sont une seule et même langue."
Par Fabienne Arvers
Qui sont les personnages de cette pièce d'allure contemplative au titre pictural : Portrait d'une femme arabe qui regarde la mer ? On ne le saura pas. Du reste, l'auteur, Davide Carnevali, nomme les protagonistes de sa pièce des "personnes" et ne leur donne pas de noms. Ce sont des figures tracées au fil des pages comme des portraits esquissés sur une toile : Homme (européen), Jeune femme, Jeune homme, Petit garçon.
Plus énigmatique encore, la première didascalie qui accompagne la présentation de ces "Personnes" : "Les hommes et la femme parlent différentes langues, que nous ne connaissons pas, que nous ne pouvons pas identifier. Pour nous, ce sont une seule et même langue."
Entre la femme arabe du titre et l'homme européen qui se rencontrent sur la route qui va de la mer à la vieille ville dans ce qu'on suppose être un pays du Maghreb, la rencontre et le dialogue ont déjà commencé lorsque la pièce commence. Et l'incompréhension mutuelle aussi qui ira jusqu'à son terme, tragique.
Au fil des scènes, on apprendra que l'homme, étranger, européen, passe son temps à dessiner sur un carnet et qu'il s'agit d'un travail. Entre lui et la jeune femme naît une histoire d'amour. Déséquilibrée, méfiante, vouée à l'échec. De prime abord, l'auteur semble pointer du doigt l'impasse amoureuse causée par un trop grand écart culturel dont la langue serait le premier indice et les rapports Nord-Sud un indépassable déterminisme. "Homme : Dans mon pays ce regard est une invitation.
Femme : Dans ce pays une pièce de monnaie vaut beaucoup moins que dans votre pays, mais je vous assure qu'un geste en vaut beaucoup plus.
Mais la figure de l'étranger recèle bien plus de nuances dont Davide Carnevali dévide l'écheveau au cours de la pièce. A commencer par l'Homme européen qui s'éprouve comme étranger dans son propre pays et au sein de sa famille bien plus que dans ce pays où on le considère comme un touriste. Et puis, il y a la figure du Jeune homme qui se fait passer pour un homme du sud du pays, dont les valeurs diffèrent, et celle des Africains, "des noirs qui travaillent de nuit dans l'hôtel" où réside l'Homme. Sans oublier les barbares qu'évoque le Petit garçon pour mettre en garde l'Homme qui se promène la nuit aux abords de la vieille ville alors qu'il a abandonné la Jeune femme. D'abord, il lui signale que plusieurs hommes sont après lui, qu'ils ont acheté les mêmes habits que lui en le suivant jour après jour. Une rivalité mimétique qui annonce la vengeance qui se fomente. Et là, encore, c'est le langage qui accuse le trait de l'étranger :
N'entrez pas, monsieur, n'entrez pas dans la vieille ville, ils y parlent une autre langue, une langue ancienne qu'ils sont peu à comprendre, une langue dure, une langue qu'il vaut mieux ne pas entendre parler (...). N'entrez pas (...) Parce que là dedans il y a les barbares.
Finalement, c'est bien le titre qui recèle le sens profond de la pièce : de l'étranger, on se fait toujours une image. Mais, comme dans les contes - et cette pièce en épouse les traits, dans la forme comme dans la langue -, la vérité est changeante, souvent cachée et chacun s'en forge sa propre idée.
Fabienne Arvers