Entre Les Lignes

La revue littéraire du festival Terres de Paroles

Texte(s)

COMBAT(S)

Jonas Hassen Khemiri

Si Invasion! il y a, elle est surtout mentale et c'est bien là que réside le danger...

On pourrait croire que la pièce de Jonas Hassen Khemiri, Invasion !, vient d'être écrite tant elle résonne avec la situation actuelle des réfugiés d'Afrique ou du Moyen-Orient qui tentent de rejoindre l'Europe et qui se heurtent à l'ostracisme, au rejet et à la fermeture des frontières. Pourtant, ce romancier et dramaturge, né à Stockholm en 1978 d'un père tunisien et d'une mère suédoise, l'a écrite en 2006, année où il publie également le roman Montecore, un tigre unique, qui parle de l'immigration et de la montée du racisme en Suède.

Invasion !, le titre est sans équivoque et la pièce met en jeu la figure de l'étranger, vécue de l'intérieur par des personnages issus de l'immigration et analysée de l'extérieur par des représentants de la société suédoise. Dans sa construction dramaturgique, Invasion ! joue d'une mise en abîme de la mystification, comme premier réflexe né de la peur de l'autre. Quatre acteurs se distribuent les rôles des seize personnages de la pièce divisée en sept scènes.

Première mystification : avant d'entrer dans la salle du théâtre, les spectateurs sont pris à partie par des comédiens grossissant le trait de provocateurs basanés venus de banlieue pour effrayer le public. Quand la pièce commence, on voit ces deux personnages, Youssef et Arvind, perturber une représentation de Signora Luna, de Carl Jonas Love Almquist, dramaturge suédois du XVIIIe siècle. Toute cette introduction était une mise en scène, un flash back de Youssef et Arvind racontant leur découverte du théâtre quand ils étaient collégiens. C'est dans cette pièce qu'ils entendent pour la première fois le nom d'Abulkasem, qui devient pour eux un mot-clé désignant tout et n'importe quoi, le sésame de leur "être au monde" dans une société où ils sont d'abord et avant tout des étrangers.

Et puis Abelkasem, c'est devenu genre, un mot, tout seul. Au début, ça voulait dire quelque chose de nase, faible... Puis au bout de quelques semaines, je ne sais pas exactement comment... le mot a changé de sens, ça commençait à vouloir dire quelque chose genre, qui pète grave, qui déchire, à bloc... Et plus tard (...), Abulkasem, ça pouvait vouloir dire n'importe quoi. Ca pouvait même être un adverbe... Un verbe... Une insulte... Un compliment... C'est devenu le mot parfait... La plupart du temps, on comprenait le sens par le contexte.

Intercalées entre les scènes qui suivent les personnages de Youssef, d'Arvind et de Lara, trois interludes présentent les analyses loufoques d'un panel de chercheurs sur l'histoire du "vrai" Abulkasem. L'énigme posée par Jonas Hassen Khemiri en introduction de la pièce quand il présente les personnages - quels personnages se cachent derrière les noms des chercheurs ? - est révélé dans un appendice à l'issue du texte, intitulé : "Matériel supplémentaire". On y découvre que ces chercheurs aux noms improbables qui construisent de toutes pièces la figure d'un  dangereux kamikaze sont les anagrammes des hommes politiques qui ont falsifié la vérité pour intervenir en Irak : George Bush, Dick Cheney, Tony Blair.

Car, si invasion il y a, elle est surtout mentale et c'est bien là que réside le danger.

Fabienne Arvers

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