L’important c’est le thème
Texte(s)
Ce soir on improvise
Existe-t-il encore une littérature purement théâtrale ?
Par Colette Godard
Ecrire pour le théâtre, c’est avant tout fournir une base de travail ; Un thème.
Existe-t-il encore une littérature purement théâtrale ? Sans doute, mais elle se fait rare. Nous avons eu Jean Luc Lagarce, Bernard Marie Koltès, ou alors nous avons Pascal Rambert qui monte ses propres pièces. Et puis ?
Il suffit de consulter les interminables listes de spectacles qui, de jour en jour, tentent leur chance. Pour la plupart, il est précisé qu’ils sont mis en scène "d’après" ...
D’après Walt Disney ou les Frères Grimm, Dickens ou Lewis Carroll pour les jeunes publics, quoi de plus normal. Quant aux adultes, ils trouvent l’occasion de réviser Tolstoï ou Zola, Choderlos de Laclos ou Houellebecq… entre bien d’autres. Avec la promesse, parfois tenue de faire découvrir, ou redécouvrir des écritures, des auteurs. Auteurs de romans, d’essais. Y compris de théâtre, mais inconnus, ou à redécouvrir., Voire à ré-écrire comme ils l’auraient fait dans le langage de notre temps de notre pays. Les voyages dans les langages d’ici et surtout d’ailleurs, avec surtitres, offrent d’infinies libertés.
Il arrive aussi de voir annoncé Les Derniers jours de l’humanité de Karl Kraus, et d’assister à un spectacle musical de David Lescot. Et de ne pas s’en plaindre.
Après tout, l’important c’est le thème.
De toute façon, le plus intrépide des metteurs en scène français n’atteindra jamais la tranquille audace de leurs confrères allemands, et de leurs dramaturges, formés dès leurs premiers pas dans le métier, à creuser chaque scène, chaque phrase, chaque mot jusqu’à en tirer un (ou des) sens inédits. C’est ainsi que pour Peter Stein, considéré comme un modèle de rigueur, Labiche, en écrivant la Cagnotte veut nous informer sur les révoltes populaires en général, communardes en particulier. Quant à Ibsen, d’une pièce à l’autre, il offre à Thomas Ostermeier le plus grinçant portrait de la bourgeoisie allemande héritière des années 60.
L’important c’est le thème.
Il est vrai que les Allemands disposent non seulement de dramaturges attitrés, mais aussi de vraies troupes formées de comédiens permanentes, où chacun sait ce que peuvent donner les autres. Donc capables de travailler ensemble sur un thème, de le développer ensemble. Ils sont en quelque sorte héritiers de des troupes de la Commedia del Arte, dans lesquelles chacun tenait un personnage - jeune premier ou Arlequin, jeune première ou duègne - et suivait le scénario, en adaptant ses répliques à son public.
Et puis vint Molière.
Est ce pour rappeler d’où il venait que l’on a pu voir (Festival d’Automne 2014 au Théâtre de la Bastille) un Misanthrope, dont les alexandrins étaient d’origine, mais entrecoupés de jurons, injures, insultes, formules tout à fait contemporaines. A vrai dire, pas forcément adaptées aux attentes du public. Qui cherchait en vain le plus important : le thème. Ecrasé par le folklore…
Le thème. Important, il l’est devenu d’autant plus dans ce secteur qui, pour des raisons économiques autant qu’idéologiques, s’est intensément développé : le collectif. L’opposé de l’individu qui écrit en solitaire, en rêvant à tous ceux, qui ici et ailleurs, aujourd’hui et après demain découvriront la force, l’universalité de sa poésie, de sa pensée.
Pour le collectif le spectacle entier est sa propriété exclusive. On improvise ensemble, jusqu’à ce que l’on mette au point quelque chose à présenter au public, un spectacle qui demeure relativement stable au cours des représentations. C’est donc le collectif qui est, au sens traditionnel, un auteur.
Voir le travail du collectif In Vitro, réuni autour de Julie Deliquet. Des gens d’une même génération qui interrogent celle de leurs parents, à travers une version très loufoque de la Noce chez les petits bourgeois de Brecht, une plongée glissante dans Derniers remords avant l’oubli de Lagarce, pour finir sur leur histoire à eux, qu’ils ont appelée Nous sommes seuls maintenant. Connaître le jugement des enfants et petits enfants est toujours intéressant…
Naturellement,,. il y a toujours quelqu’un qui réunit le collectif, mène les discussions, décide de ce qui va continuer ou non, changer. Plutôt qu’un metteur en scène, le chef d’un orchestre de jazz, à l’écoute des variations de chacun. Mais c’est quand même lui qui donne le ton. Et décide du thème.
Et puis il y a les fans de la provocation.
Physique, autant que verbale. Façon Chiens de Navarre. Qui alternent engueulades de spectateurs et bagarres entre eux.
Dans ce domaine, personne n’ira jamais aussi loin que le groupe anglais des années 70, the RAT : trois ou quatre hommes nus, qui, dans le sable, sans raison, sans un mot et sans musique, se cognent jusqu’au sang. D’ailleurs ils ne peuvent pas jouer tous les jours…
Pour ce qui est de la nudité masculine, elle est devenue habituelle. Dans des spectacles de tous genres. Elle n’entraîne pas forcément les scènes sexuelles, difficiles à assumer.
Quant à la provocation verbale, la première difficulté consiste à se démarquer des émissions télévisées, censées hilarantes, qui ont mis à la mode et popularisé le genre.
Avantage du théâtre, la présence du public, non plus figé sur sa chaise et sommé de rire au bon moment comme à la télévision, mais invité à se joindre aux acteurs, à manger ou boire avec eux le cas échéant, à participer à leurs va et vient, à leurs mouvements, et même, avec eux, toujours le cas échéant, audace suprême, se moquer de ceux qui sont restés dans la salle, voire les insulter… Les exemples sont nombreux, c’est presque devenu un thème…
Quoiqu’il en soit et quel que soit le cas, pour ces héritiers des « libertaires » qui ont peuplé les années 60 et pour lesquels jouer fidèlement une pièce déjà écrite c’est« bourgeois » - la pire des insultes - l’important, c’est donc de ne pas perdre le thème, et le jeu en vaut la chandelle.
Colette Godard