Texte(s)
La vie comme course de fond
La canadienne Carrie Snyder se glisse dans la peau d'une championne olympique : une réflexion sur la féminité et la quête de liberté
Par Dominique Panchèvre
La traduction française du titre original apporte une subtilité au rôle effectif de la course à pied dans l’histoire d’Aganetha Smart. La course pourrait ne sembler qu’un prétexte au déploiement d’une histoire familiale qui fait une boucle au bout de cent ans.
Bien sûr, l’héroïne, narratrice à la première personne, fut championne olympique d’une discipline ouverte de manière éphémère aux femmes en 1928. Elle court, jeune, adulte, vieille, et même dans un dernier sursaut, elle s’y essaiera au sortir de son fauteuil roulant, alors qu’elle a 104 ans.
Il faut en dire assez peu ; lorsque deux jeunes gens, une sœur et un frère, viennent chercher Aganetha à la maison de retraite pour une promenade et un reportage, le lecteur, lui aussi, est emmené dans un voyage spatial et temporel. Mémoire recomposée de la ferme de l’enfance à la ville, c’est un parcours jalonné de morts et de difficultés de vivre, de petits plaisirs et d’une médaille d’or, d’interrogations existentielles sur le bonheur, mais surtout d’une intense réflexion sur la féminité et la quête de liberté, une recherche de vérité, aussi, d’une vérité pour arriver à vivre.
J’irai au fond des choses. C’est mon travail, après tout. Et je suis douée, bien que je sois une femme : je vais au fond et je remonte tous les morceaux que j’expose dans un état brut, sans fioritures, et totalement irrémédiablement mystérieux.
Une vérité personnelle, sans concession ni pose, transgressant la souffrance dans l’effort salutaire, comme pour gagner une course de demi-fond.
Un ouvrage dense, dans lequel Carrie Snyder, nous entraîne, au rythme d’une langue qui incite à nous réfléchir dans le miroir que nous tend Aganetha durant sa longue vie.
Pour terminer, une petite perle de la conception philosophie de l’amour de la narratrice : « Je pense que je veux nous garder là, à jamais dans l’instant de la rencontre. Je veux préserver la surprise, le mystère d’être désirée et de désirer, l’enchevêtrement des possibles : éternellement au seuil de la jouissance. Je ne veux pas retomber de l’autre côté. Je ne veux pas que le mystère se dissipe. Je ne veux pas savoir. »
Article publié en partenariat avec l'ARL
Carrie Snyder – Invisible sous la lumière (Titre original, Girl Runner)
Trad. de l'anglais (Canada) par Karine Lalechère
Dominique Panchèvre