Entre Les Lignes

La revue littéraire du festival Terres de Paroles

Entretien(s)

ÉPOPÉE(S) INTIME(S)

Paul Desveaux Le Garçon du dernier rang

« ceux qui ne prennent pas le risque d’écrire m’ennuient profondément »

Pour le festival Terres de Paroles, L’Héliotrope présente mercredi 30 mars à la scène nationale de Dieppe Le Garçon du dernier rang, une pièce de Juan Mayorga, auteur espagnol.  Paul Desveaux, fondateur de la compagnie, installée à Bernay, et metteur en scène, a trouvé en cette œuvre régulièrement montée dans le monde un thriller psychologique passionnant. Pendant ses corrections de dissertations, un professeur de français découvre une copie particulièrement étonnante. Quand il demande à sa classe de raconter un week-end, il ne s’attendait pas trouver le récit du quotidien d’une famille de classe moyenne embourgeoisée Un récit que Tom écrit avec un sens aigu de l’observation, frôlant un certain voyeurisme. Commence alors un dialogue entre l’élève et le professeur qui l’encourage à poursuivre son histoire. En un jeu subtil vont se mêler la réalité et la fiction. Juan Mayorga dresse le portrait de familles ordinaires, d’une adolescence en plein conflit de génération. Dans sa mise en scène, Paul Desveaux révèle le présent de ce théâtre et confronte les espaces des personnages.

Pour quelles raisons avez-vous choisi de mettre en scène Le Garçon du dernier rang de Juan Mayorga ?

Le Garçon du dernier rang de Juan Mayorga est un livre qui se lit comme un polar. Les phrases sont certes simples mais la structure est complexe. Juan Mayorga est dramaturge et philosophe. C’est un grand bonhomme parce qu’il y a quelque chose de l’ordre du suspense à travers le fait d’écrire. La structure, l’écriture sont intimement liées. En fait, l’histoire est l’écriture. Et c’est ce qui tient en haleine. Le Garçon du dernier rang est moins le regard d’un adolescent qu’une critique de l’enseignement, de l’art contemporain. Tout cela m’a renvoyé au cinéma de Gus van Sant avec Paranoïd Park et à celui de Larry Clark avec Ken Park. Dans ce livre, Juan Mayorga crée une ambiance dans laquelle les gens regardent. Le public devient voyeur : il regarde le professeur qui regarde l’élève qui regarde l’intérieur de la maison. C’est un plan cinématographique.

Cet adolescent fait aussi la constatation d’une classe sociale, d’une réalité.

Juan Mayorga pose une question sociale. Il fait des observations sur la réalité, porte un regard sur la société, sur un quotidien ancré dans la société avec les frustrations dans le couple, au travail… J’ai pensé à American Beauty. Nous sommes tous amenés à faire des arrangements avec notre vie. Ce qui nous renvoie à nos travers. Le Garçon du dernier rang est davantage une tragédie de quotidien qu’une tragédie au quotidien. Il était donc impossible de créer une pièce onirique. Faut-il décaler le quotidien ou être dans le quotidien ? Avec Juan Mayorga, l’écriture est une chose technique, suppose un sens de l’observation, parfois est un pillage. Surtout pas une écriture d’inspiration. On revient au côté voyeur. C’est comme si on soulevait le toit d’une maison. Aujourd’hui, la télévision est pleine de ces travers-là.

Avec Le Garçon du dernier rang, vous revenez à l’écriture contemporaine. Comment s’effectue ce va et vient avec les textes classiques ?

C’est une continuité de l’histoire. Je ne pense qu’il y est de rupture. Un écrivain contemporain va naturellement vers les sujets qui sont proches de nous. Idem pour la forme de langage. Les textes classiques évoquent des moments à travers des questions existentielles. Tant mieux si l’on met encore en scène aujourd’hui des œuvres de William Shakespeare ou de Victor Hugo. Il me semble important de faire cet aller et retour. Sans histoire, on n’existe pas. Au début, cela s’est fait de manière instinctive. J’ai choisi des textes sur lesquels j’avais envie de travailler, qui avaient une structure dramatique.

Pourquoi ce passage par les œuvres classiques est important pour vous ?

Cela m’a structuré, m’a permis d’avoir un regard sur l’écriture contemporaine. A un moment donné, j’ai récupéré pas mal d’œuvres grâce à des copains qui étaient passés par Khâgne et Hypokhâgne. J’ai beaucoup lu de critiques romanesques. Tout cela m’a amené à faire des comparaisons. J’ai compris que ceux qui ne prennent pas le risque d’écrire m’ennuient profondément. J’aime les auteurs qui font des phrases longues.

Fabrice Melquiot, un auteur avec lequel vous travaillez régulièrement fait partie de ceux-là ?

Oui, c’est pour cela que j’aime le travail de Fabrice Melquiot. Cela reste la plus belle rencontre artistique. J’ai monté cinq projets avec lui. Le premier a été Pollock. Pour l’écriture de ce spectacle, je cherchais un poète qui déroule les phrases. Pour cette création, dix-sept versions ont été écrites. Pour Pearl, il y a en a eu une dizaine. L’écriture de Fabrice Melquiot ressemble à de la musique. Et la musique a toujours eu une importance pour moi.

Quelle place tiennent les personnages dans votre travail ?

C’est quelque que je ne trouve pas toujours dans le théâtre. On ne travaille pas beaucoup la psychologie des personnages. Dans l’œuvre d’Anton Tchekhov, on sent bien que la psychanalyse est passée par là. Le personnage, c’est notre travail de metteur en scène.

Appréhendez-vous les textes classiques et contemporains de la même manière ?

Quand on choisit un texte, on s’intéresse à la structure, à la manière dont il est construit, à son rythme, à l’alternance dans les scènes. Chez William Shakespeare, il y a une dynamique. Chez Juan Mayorga, aussi. Néanmoins, le théâtre m’intéresse pour les acteurs. Ceux-ci sont le centre du théâtre, la part d’humanité qui va se retrouver sur le plateau. Donc il faut bien s’occuper de ces personnes-là. Il est nécessaire de travailler sur la manière dont l’écriture d’un texte résonne en eux, sur la pat d’humanité des personnages. Tout cela devient plus passionnant, pour eux et pour les spectateurs.

Le Garçon du dernier rang  Juan Mayorga
Mise en scène Paul Desveaux
 

Maryse Bunel

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