Entre Les Lignes

La revue littéraire du festival Terres de Paroles

De la douceur des peines

Texte(s)

IMAGINAIRE(S) NUMÉRIQUE(S)

Le Néther

de Jennifer Haley, traduit de l’anglais (USA) par Emmanuel Gaillot

De la douceur des peines

Bienvenue dans Le Néther, l’univers cybernétique paranoïaque de Jennifer Haley. Dedans trois hommes concupiscents s’adonnent à leurs fantasmes.  Par le prisme de cet avatar théâtral, l’auteure vise une déconstruction radicale des mœurs sexuelles. En pointe de mire de ce très proche futur composé de corps matériels et immatériels, la mise à nu des désirs masculins extrêmes. La plateforme est un jeu, la beauté interdite d’une fillette nommée Iris en est l’enjeu. Au sein de l’énigmatique Cachette créée de toute pièce par un dénommé Papa, Iris, l’enfant de la pièce, incarne l’appât. Elle attire en douceur un à un entre les mailles de ses filets virtuels, des hommes seuls. Eux paraissent perdus, envoûtés par cette sorte d’effroi que les enfants - mais aussi les adultes - éprouvent face à ce qu’ils ne comprennent pas : la vie, l’amour, le désir, le temps qui passe, la mort. Ils échangent avec elle des instants évanescents et sensuels. Doyle et Sims, tombent inexorablement amoureux d’Iris. Elle dessine petit à petit, plus profondément à chaque réplique, encore des désirs inavouables. Ainsi, Doyle et Sims, les deux visiteurs de La Cachette, se laissent bercer, à la limite de la caresse, prohibée par l’innocence d’Iris, elle-même manipulée par son Père.

En parallèle, la réalité au dehors du net existe. Elle apparaît à coup d’interrogatoire ferme mené par l’agent Morris en plein milieu de l’espace fantasmagorique de la pièce. Cette agent cherche à savoir au fil de ses interrogatoires si oui ou non les hommes qu’elle a en face d’elle sont les auteurs de ce jeu sordide, si oui ou non le Papa de La Cachette est réellement le criminel qui joue un rôle pour le moins étrange, glauque et hors la loi. L’agent Morris a entre les mains de très graves chefs d’accusation : racolages, viols, sodomies, meurtres.

L’humour de Jennifer Haley au travers de cette enquête est glaçant, perçant. Il tranche à vif, touche à l’érotisme de la langue. Dans son sillage une atmosphère trouble se dégage. Elle apparait à l’aune d’une recherche mystérieuse, qui chemine d’un côté entre une faute antérieure irréparable commise, et de l’autre la quête de paradis artificiels perdus.  Les scènes s’enchainent les unes aux autres, lancinantes, proches de l’attention flottante, à l’affut d’un crime à venir. Les visiteurs passent, les interrogatoires eux aussi défilent. Une question reste en suspend : est-ce que tout ceci est seulement d’ordre commercial ? Nul ne le saura jamais. Le Néther, impassible reflète un mode où rien ne change, comme l’écrit Jennifer Haley. Il correspond à merveille à Papa, dixit à « la manière dont nous demeurons qui nous sommes ». Par instant des bribes de poèmes se dilatent dans le hall d’entrée de La Cachette. Ils donnent à la pièce de l’auteure de Los Angeles une dimension hypnotique à l’égal d’un des plus récents films de Lars Von Trier. Un Nymphomaniac dès plus cruel encore... 

Quentin Margne

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