Détruire dit-elle...
de Jennifer Haley, traduit de l’anglais (USA) par Emmanuel Gaillot
Détruire dit-elle...
Quartier 3, Destruction totale, avance comme dans un jeu vidéo de niveaux à niveaux : « 1 soluces », « 1 la cuisine », « 2 soluces », « 2 portes d’entrée », etc. Ceux-ci alternent entre réalité et espace fictionnels. Les personnages à l’intérieur de ce théâtre de l’horreur sont divisés en quatre catégories : « père », « mère », « fils », « filles ». Une voix haletante, parfois, les dirige et livre des indications à suivre. Très vite, le jeu vidéo tourne au cauchemar vivant, au cloaque familial dérangeant... Une voix insidieuse mécanique coordonne les opérations de ce jeu dangereux. Elle dévoile pas à pas les pièces de la maison à investir pour tuer. Les enfants, sous l’emprise de cette voix souterraine, exécutent minutieusement ses ordres qui, grâce à elle, les élèvent au rang de héros sanguinaires. La virtualité remplace alors la réalité. Sans pitié, elle transfigure le domicile de leurs parents en une gigantesque boucherie à ciel ouvert. Les enfants partent à la chasse aux Zombies, comme plonger à l’intérieur d’une réplique de Call of Duty. Tout leur temps est consacré à ce jeu macabre, si bien que leurs yeux s’emplissent d’un rouge brulant et inquiètent leurs parents. Eux pensent qu’ils se droguent, fument en quantité importante de la marijuana. Mais la causticité des substances inhalées n’est pas la véritable raison de ce bain de sang. En réalité, ce sont plutôt les armes offertes par le jeu, son jargon étrange, qui excitent les enfants. À onze ans, seul le jus de raisin compte, toujours désireux de zigouiller avec la même froideur et application le maximum de Zombies en un minimum de temps. Pour satisfaire leurs moindres pulsions de mort, ils utilisent tout ce qu’ils trouvent à porter de main, de la bêche au marteau de vitrier en passant par la broche à barbecue.
Beaucoup d’effets visuels remarquables ponctuent la plateforme virtuelle. Les mots « bienvenus », incrustés dans le paillasson se switch en un effroyable « au secours ». Les parents manquent cruellement de bras face à cette situation, face aux pulsions de leurs enfants qui délirent à plein régime au sein même de leur maison. Ces jeunes gens cherchent peut-être tout simplement à duper leur ennui ici maladif. Ne sachant que faire sans les extrapolations dispensées par le Quartier 3. Mais cela entraine la destruction psychique de leurs parents qui ne savent plus distinguer, comme leurs enfants, le vrai du faux dans toute cette histoire.
Le jeu est une drogue, personne ne parvient réellement à s’en extirper du début jusqu’au noir ultime de la pièce. Celle-ci se termine en plein centre d’une sanguinolente « maison finale ». L’écriture de Jennifer Haley, travaille sans relâche notre rapport à l’angoisse, au vide qui nous hante. Dès lors on s’interroge, quel endroit est le plus tangible, la virtualité ou la réalité ? La virtualité semble combler tous nos manques, nos désirs inassouvis or elle semble confiner inlassablement au malsain. A l’inverse, les possibles poétiques puisés dans le réel eux paraissent irrécusables et cela sans savoir finalement pourquoi.
Quentin Margne