Shakespeare notre contemporain… La formule a fait fortune, elle demeure valable, pour l’éternité.
Texte(s)
L'homme d'aujourd'hui
Aujourd’hui comme avant hier et pour toujours, Shakespeare demeure notre contemporain, le fait est reconnu admis. Ses pièces n’ont pas besoin d’être d’êtouées en costume cravate, comme il est de rigueur sur nos scènes – comme d’ailleurs Molière, Racine et les autres.
Par Colette Godard
Shakespeare notre contemporain… La formule a fait fortune, elle demeure valable, pour l’éternité.
Aujourd’hui comme avant hier et pour toujours, Shakespeare demeure notre contemporain, le fait est reconnu admis. Ses pièces n’ont pas besoin d’être d’êtouées en costume cravate, comme il est de rigueur sur nos scènes – comme d’ailleurs Molière, Racine et les autres.
Au fait, les Comédiens-Français se sentent-ils à l’aise, lorsque, dans leur Roméo et Juliette, ils affrontent la traduction alambiquée de François Victor Hugo, dans un environnement (costumes et musiques) à la Dino Risi ?
Franchement, à quoi bon ?
Sous Shakespeare, l’emploi de metteur en scène créateur était semble-t-il ignoré. Et lui, il écrivait pour SES acteurs. Donc pour les acteurs.
Lorsque Peter Brook monte en 1955Titus Andronicus (invité au Théâtre des Nations) les acteurs portent des costumes sans date, vaguement élisabéthains. Pas n’importe quels acteurs, ceux du National Theatre, dont Laurence Olivier et Vivien Leigh, inoubliable dans une longue tunique blanche, façon No, les poignets cernés de rubans rouges tombant jusqu’à terre, qui disent le sang de ses mains sacrifiées.
Plus tard, en 1971, Peter Brook nous offre un Roi Lear et Paul Scofield, tellement seul, seul dans un monde vide, où ne restent que de grandes plaques métalliques/ Tant de détresse, tant de pudeur. Quelque chose que tout un chacun reçoit et ressent.
Raison pour laquelle, peut-être, les comédies de Shakespeare nous concernent moins que ses « grandes pièces ». Elles jouent sur des rapports hommes/ femmes (heureusement) dépassés, devenus quasiment folkloriques. Ne restent plus que des emberlificotages, qui feraient pâlir Feydeau de jalousie, mais…
Mais voilà : les « grandes pièces » shakespeariennes traitent de tout ce qui fait que le monde existe : l’ambition, la folie du pouvoir, les incertitudes, le regret, le désir d’éternité, la fascination de la mort, la peur et le besoin de solitude, d’amour …
Toutes ces choses qui traversent la géographie, autant que le temps, Shakespeare les offre aux acteurs. A toutes les forces et faiblesses qu’ils possèdent en eux, qu’ils ont envie, besoin, de donner, de transmettre, dont ils veulent se délivrer. Il leur offre des « personnages », des gens confrontés à des situations qui les amènent, les obligent à aller jusqu’au bout d’eux-mêmes..
Shakespeare ne se joue pas dans la distanciation.
Ainsi son Roi Lear promène sa souffrance partout de par le monde, dans toutes les langues. Certains vous restent dans le cœur. Tel celui d’Ulrich Wildgrüber. En 1974, il a à peine trente ans, c’est un homme grand, mince, égaré, à qui tout échappe, son royaume, sa raison ; ses filles. En trébuchant, le regard perdu, il marche vers nous, portant sur son dos le cadavre nu de Cordelia. C’était au Festival de Nancy, sous un chapiteau malingre.
Le metteur en scène : Peter Zadek. Juif allemand réfugié à l’âge de cinq ans en Angleterre. Où il apprend le théâtre. Et donc Shakespeare. Il ne retrouve son pays natal que dans les années 50 ; il va y devenir l’Intendant, c’est à dire le directeur, de quelques théâtres importants, notamment à Hambourg. Naturellement il monte, (en 1973) le Marchand de Venise, pense à un Shylock trader à Wall Street, et finalement opte pour un brave vieux juif, complètement à côté de la réalité. Zadek n’est pas le seul à vouloir en faire un personnage « attendrissant », la difficulté étant cette scène du procès ou le vieux grigou réclame « une livre de chair ». Et pour laquelle il trouve l’explication : : « une blague juive que personne ne comprend .
Rien ne l’arrête.
Entre autres, il monte deux fois Hamlet. D’abord en 1978, il en fait un soixante huitard qui refuse l’héritage paternel, veut changer le monde, se mêle de tout. Et puis, le Hamlet invité en 2000 par le Festival d’Automne, est devenu un homme désabusé, qui ne croit plus en rien, regarde le monde se défaire sans se mêler de rien. L’intérêt, avec Shakespeare, c’est qu’on ne sait pas précisément, réplique par réplique, ce que jouaient ses acteurs. Les éditions de ses textes se suivent et se ressemblent, mais enfin, en cherchant bien on peut trouver des différences. Des détails sans doute. Mais à partir de là, tout est possible… Le danger vient des metteurs en scène persuadés d’avoir déniché LE texte authentique. »
C’est ainsi qu’au Théâtre de Gennevilliers, alors dirigé par Bernard Sobel, pourtant lui même impeccablement rigoureux, une jeune troupe invitée nous a mis face à un Hamlet…. déconcertant. Ainsi,, entre autres, Ophélie n’allait pas se noyer. Violée jour après jour par son père et son frère, elle mourait d’une fausse couche entre les murs ensanglantés de sa chambre.
Justification: dans le programme, le metteur en scène nous expliquait qu’il avait découvert la vérité du vrai texte de base : lorsqu’Hamlet lance à Ophélie « au couvent », c’est pour lui dire « au bordel ». Que l’on appelait alors couvents de putes. . A partir de là….
Etait ce de l’humour ? En tout cas plus pénible que drôle.
Une chose est sûre. Pièce mystérieuse, Hamlet est peut-être celle de Shakespeare la plus jouée de par le monde, et par voie de conséquence la plus trafiquée.
Au Festival d’Avignon en 2011, au Cloître des Carmes Vincent Macaigne tente sa chance, et crée « d’après » Shakespeare Au moins j’aurais laissé un beau cadavre. On retrouve les personnages, on trouve de belles images, et puis d’un coup on est emmené ailleurs, lorsque les spectateurs sont invités à la fête du mariage de Gertrude, la mère d’Hamlet avec son beau frère et complice.
Dîner qui en 2008, marquait la version – à Avignon dans la Cour d’Honneur- de Thomas Ostermeier. En prologue il y avait le terrifiant enterrement par Hamlet de son père, le roi assassiné. Il y avait une fosse géante, il y avait le couvercle de bois, les bruits de la terre creusée… Un long, un fascinant moment, après quoi sur le plateau entre les murailles, le souper calme et raffiné. Et nous étions là, impuissants, la gorge serrée.
D’ailleurs Vincent Macaigne commençait son spectacle par une sorte de citation, modeste, de ce moment. Dommage qu’il ait changé de cap. De toute façon, la vision d’Ostermeier est d’autant plus inimitable, qu’elle est portée par la troupe de la Schaubühne, autour de Lars Eidiger, comédien exceptionnel, qui nous entraîne dans la douleur, la fureur, dans la folie d’Hamlet, plus précisément ce je avec la folie dont on ne sait pas, dont il ne sait pas où, jusqu’où il va être entraîné à quel moment il pourra le maîtriser, l’instant où il va basculer. Nous sommes en lui, de même en 2015, lorsqu’il joue Richard III, le roi boiteux, monstrueux séducteur, qui nous séduit, nous met à sa disposition. Après lui, affronter le rôle, le personnage devient un pari quasi stupide. Ainsi pour Thomas Jolly qui, lui, joue et met en scène la pièce toute entière : quatre heures et demie. Pas grand chose après ses Henri VI qui, à Avignon toujours, en 2014 obtiennent un triomphe quasi général. Leur durée : dix huit heures. Entrecoupées d’entracte à la fin desquels une jeune femme, devant le rideau, sur un ton badin, vient rappeler où on en est de l’histoire. Ce n’est pas forcément suffisant pour bien suivre. Mais après tout, dans les séries télévisées dont s’inspire le principe du spectacle, on ne sait pas non plus toujours exactement où on en est. Là, c’est d’autant plus difficile, que d’un épisode l’autre, les mêmes comédiens traversent le temps et les rôles, dans le même genre de costumes, et de mise en scène., dans de beaux décors et des éclairages soignés, le genre guignolade bon enfant. Et l’on est fier, quoiqu’il en soit, d’avoir tenu les dix huit heures.
C’est d’abord et avant tout, ce dont on parle.
Décidément, la toute puissance de la télévision ne fait que croître. Ainsi dans un tout autre esprit, les Rois de la guerre, soit Henri V, Henri VI, Richard III) revus par le metteur en scène flamand Ivo van Hove, venus au Théâtre National de Chaillot en 2015/ L’ensemble compose une sorte d’épopée, de tout juste quatre heures et demie, évidemment surtitrée, agrémentée de vidéos. Et accompagnée d’une incessante, redondante musique, évoquant les grandes séries historico politiques. Sinon que les hommes portant tous le même costume cravate, alors distinguer les personnages les uns des autres, tout en regardant les surtitres n’est pas évident
Rêvons : une pièce de guerre, Hamlet, Lear, Titus Andronicus, Macbeth, Othello, Jules César (1) etc, la liste est longue (cet homme était inépuisable) dans des costumes pas forcément élisabéthains, mais adaptés à chaque personnage, qui le caractérisent, le désignent ; aident les comédiens à le trouver, se trouver, se déployer, à découvrir en lui et donner aux autres ce qui les relie, lui découvrir cet autre lui que lui offre Shakespeare ; son ami, son maître. Le nôtre, là, sur le moment, puisqu’aussi bien, le théâtre est affaire d’instant, de présent.
Et que le théâtre de Shakespeare est affaire de comédiens.
Il y a eu un film, un documentaire, sur des prisonniers, certains condamnés à la perpétuité, auxquels on fait travailler une adaptation de Jules César. Ils en choisissaient eux-mêmes les moment ; lutte de pouvoir, trahison, chantage, meurtre « Toi aussi Brutus. Shakespeare est universel.
Colette Godard