Entre Les Lignes

La revue littéraire du festival Terres de Paroles

PORTRAIT(S)

COMBAT(S)

Radhouane El Meddeb l'agitateur

Au temps où les Arabes dansaient… est un témoignage peut-être fantasmé d'un monde perdu dont Radhouane El Meddeb est apparemment nostalgique.

Radhouane El Meddeb a pris des voies détournées pour en arriver à la danse : c'est en effet par les mots que le "jeune espoir du théâtre tunisien" a commencé. Formé à l'Institut Supérieur d'Art Dramatique de Tunis il collabore avec Fadhel Jaïbi ou Mohamed Driss, puis en France avec Jacques Rosner, Adel Hakim ou Natacha de Pontchara. En 2005, celui qui a croisé la danse, offre son premier solo Pour en finir avec MOI.

Depuis il enchaîne les chorégraphies comme Ce que nous sommes ou avec son complice Thomas Lebrun Sous leurs pieds, le paradis. El Meddeb ne s'interdit rien lui qui vient d'un pays où la démocrate est sans cesse fragilisée : Nos limites le voit mettre en mouvement Matias Pilet et Alexandre Fournier deux circassiens et il investit le Panthéon - une première - avec Heroes, prélude.

On pourrait dire que Radhouane El Meddeb passe en force mais à sa manière élégante et délicate. C'est exactement cela avec Au temps où les Arabes dansaient… Point de départ de cette création la danse du ventre égyptienne telle que pratiquée dans les cabarets désormais menacés. Mais le chorégraphe a changé son point de vue :

Cette pièce, initialement un projet de cabaret, a au fil des répétitions et des événements politiques, évoluée vers plus de radicalité. J’ai été comme empêché d’aller vers la forme du cabaret pour célébrer ce monde disparu.

Là où autrefois tout était possible dans des décors de carton-pâte et une atmosphère clinquante Radhouane El Meddeb voit la fin d'un âge d'or. "Aujourd’hui que la nostalgie elle-même semble lointaine, alors que nous repensons à ces années de gloire et de fausses blondeurs, la danse (des) arabe(s) apparait comme l’épicentre de secousses à venir, le nombril semble vibrer et vriller, au bord du précipice, flirtant avec le chaos. La violence de notre monde a pénétré le carton-pâte des décors, elle le renverse pour en signifier la fin, la fin d’un temps qui n’était qu’illusion, une illusion douce, sucrée, ronde". Dans une lumière rasante, les danseurs se lancent alors dans une cérémonie de corps offerts : bassin cassé ou ondulant, marches répétées, images volées au cinéma populaire.

Pourtant Au temps où les Arabes dansaient… ne se berce pas d'illusions. Radhouane a choisi son camp, celui de la liberté. Et lorsqu’ un des solistes porte le voile sur le plateau la force de ce spectacle saisit.

Au temps où les Arabes dansaient… est l’écho lointain de ces chants et ces danses, pris dans la tendresse de l’espoir et du souvenir, dans la ferveur des cœurs et des corps. C’est aussi l’une des faces d’un présent cruel, terne et frappé de stupeur.

On y revendique enfin sa part de féminité non sans risque. Les temps ont changé. Au temps où les Arabes dansaient… est un témoignage peut-être fantasmé d'un monde perdu dont Radhouane El Meddeb est apparemment nostalgique. Mais il en tire, l'espace d'un spectacle conjugué au présent recomposé, une évocation sensible. Et engagée.

Philippe Noisette

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