Entre Les Lignes

La revue littéraire du festival Terres de Paroles

Sous couvert de vouloir fouiller et non fouiner, la narratrice fait mine de prendre une distance qu'elle n'a jamais eue : comme s'il fallait essayer de se protéger pour ne pas devenir celle qui abandonne et trahit ses promesses.

Texte(s)

INVENTAIRE(S)

Les gens dans l'enveloppe / Isabelle Monnin

Une enveloppe pleine de photos de famille, vendue, des portraits sans légendes qui pourtant, grâce à Isabelle Monnin, vont en avoir une : Les Gens dans l'enveloppe.

« Je me demande quel voyage elles ont fait pour se retrouver chez moi qui ai si peu de photos de ma propre famille. Pourquoi me les a-t-on abandonnées ? » se demande la narratrice qui part à la recherche de ce que les visages sur ces photos veulent dire. Une femme qui cherche d'autres femmes : celles qui abandonnent leurs hommes, leurs enfants, celles qu'on s'imagine puis qu'on finit par rencontrer au détour d'une lumière, en Franche-Comté, à Clerval.

Le livre d'Isabelle Monnin est partagé en deux temps. C'est d'abord un roman. Une histoire de femmes qui attendent, partent, s'écrivent et se laissent mourir, et d'un homme qui n'existe à la fin que pour se débarrasser des photos de celles qui l'ont délaissé. C'est un plaidoyer en faveur de celles qui s'en vont et laissent tout derrière elles. On leur donne toutes les raisons possibles et acceptables. Et au milieu des justifications, le ton mélancolique donne lieu à des effets de styles superfétatoires. Ainsi : « Michelle adoucit un peu sa voix, un galet poli, un ballon léger, un papillon soufflé au cou de l'homme qui la regarde. » et « Son corps l'abandonne. Nul scandale à mourir maintenant et pourtant cette peur à chier partout. Elle se laisse glisser comme dans l'eau du lac, droite, les deux jambes en poteaux vermoulus. »

Avec cette première partie, le « mode d'emploi » donné au tout début du livre devient inutile. A des photos aussi familières qu'étrangères se superposent une histoire cent fois entendue, des mécanismes connus de tous et qui ne paraissent pas pourtant avoir été complètement usés. « Le roman » devient presque le prétexte de ces photos sans informations qui constituent la couverture, et l'album entre la première et seconde partie du livre.

Puis vient « L'enquête ». La narratrice Isabelle Monnin part à la recherche de ceux à qui ces souvenirs sont censés appartenir. On quitte la fiction, on quitte ceux qui abandonnent, pour n'y trouver que l'homme abandonné. Le délaissé prend alors toute la place et laisse les guillemets hanter ce nouveau « récit ». S'il n'y avait pas autant de renoncements on arriverait peut- être à toucher le cœur de l'histoire de ces gens qu'Isabelle Monnin rencontre, mais « Comme le reste est intime, elle n'en dira que l'essentiel et je n'en noterai que la carcasse. ».

Des vivants, omniprésents dans la première partie, nous n'avons plus ici que les souvenirs sur ceux qui sont morts : ceux que nous ne connaissons pas. À force d’évacuer le douloureux, Isabelle Monnin perd le lecteur et le but de toute sa démarche. Tout ce qui reste est une Belle expérience pour la narratrice et un flou ne permettant pas de savoir qui de Serge, « Serge - Michel » et Michel est authentique... « De temps en temps, lorsqu'il souhaite que quelque chose reste entre nous, Michel arrête le dictaphone puis il le réenclenche. Plusieurs fois il est ému aux larmes. »

Au fil des pages on se rend également compte que quelque chose cloche : « Je ne sais pas, Laurence, te dire que chercher ta famille c'est comme trouver la mienne. Je ne sais pas te dire mon pressentiment de l'effacement de tous les instants importants, de la vacuité de nos petites mémoires, de l'absurde merveilleux de la vie qui passe comme une photo, en une génération s'oubliera. ». Sans aller jusqu'à dire que l’enquête sonne faux, disons plutôt qu’elle n'est qu'un prétexte. Isabelle Monnin semble le concéder, au détour d'une faiblesse.

Sous couvert de vouloir fouiller et non fouiner, la narratrice fait mine de prendre une distance qu'elle n'a jamais eue : comme s'il fallait essayer de se protéger pour ne pas devenir celle qui abandonne et trahit ses promesses.

En regardant la réalité à travers sa fiction Isabelle Monnin ne raconte plus « juste l'histoire de la couleur de la lumière, en septembre à Clerval » mais part à la recherche de ses propres disparus, abandonnés et abandonnant. Elle s'empare ainsi d'un passé familial où elle et son « Serge » ne sont peut-être pas si éloignés et délaissés que cela.

Gabrielle Arnault

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