Traverse(s)
Rosalie Mondschein
Par sa camera oscura Rosalie Mondschein fait advenir un monde d’une inquiétante étrangeté, où un léger décalage de perception semble avoir rendu visible quelque chose qui nous était caché jusque là : un feu de prairie, une cascade qui semble jaillir à rebours d’une monumentale ruine perdue dans une jungle familière, une concentration de lumière sur un chemin perdu au milieu d’une forêt qui s’étend à perte de vue…
Par Jean-Charles Tillet
La première photographie de Rosalie Mondschein, personne ne l’a jamais vue, pas même elle : son premier appareil photo, un jetable acheté pour une colonie de vacances, trône sur une armoire, attendant depuis des années d’être développé. Quel mystère enferme-t-il? Elle sent que le moment n’est pas venu.




La quête de cette jeune plasticienne, c’est de rendre visible l’insondable mystère de notre monde, par un travail qui relève presque de l’alchimie. Chacune de ses œuvres nécessite des heures et des heures de retouches : elles sont le fruit d’une superposition de deux photos : la photo « de base », cadrée au cordeau, avec la minutie qu’exige la prise de vue argentique, est « révélée », selon les termes de l’artiste, par une seconde photo (voire une troisième) qui vient sublimer l’émotion qui a donné naissance à la première. La photographe connaît par cœur l’immense banque d’images qu’elle stocke dans son ordinateur. A des années d’intervalle, deux photos semblent d’un seul coup devoir nécessairement s’accorder, l’artiste étant la première surprise de voir qu’elles se superposent parfaitement, cadrées de la même manière. Et commence alors un minutieux travail de composition à la palette graphique, pour donner naissance à l’œuvre nouvelle, fruit d’un assemblage d’un extraordinaire raffinement.
Rose a commencé à « bidouiller » ses photos dès le début, alors en numérique, vers 13-14 ans, sur the Gimp. Très jeune déjà, elle éprouvait une fascination « très primaire » pour la lumière, particulièrement les reflets, « le rayon de soleil qui tape pile au bon endroit ». Son premier geste artistique, elle peut d’ailleurs le dater assez précisément quand, à 16 ans, elle a photographié en argentique le reflet du ciel dans un flaque, photo que dix ans plus tard elle a voulu présenter sur sa galerie en ligne, « Fenster’s height ».
Par sa camera oscura Rosalie Mondschein fait advenir un monde d’une inquiétante étrangeté, où un léger décalage de perception semble avoir rendu visible quelque chose qui nous était caché jusque là : un feu de prairie, une cascade qui semble jaillir à rebours d’une monumentale ruine perdue dans une jungle familière, une concentration de lumière sur un chemin perdu au milieu d’une forêt qui s’étend à perte de vue…

Les projections mentales de Rosalie Mondschein se traduisent également dans des paysages post-apocalyptiques, dont la ruine est accentuée par le noir et blanc; les grands équilibres semblent subvertis : haut-bas, jour-nuit, minéral-végétal. Ces paysages ne sont pas seulement étranges, ils sont « étrangers », selon le souhait de Rose. D’ailleurs, le premier acte de retouche est d’enlever les figures humaines, car ce qui l’intéresse, c’est « l’essence du lieu ».
Les gens sont du bruit, un bruit optique qui dissout l’esprit du lieu .
Comme dans un tableau de Magritte, la référence absolue de la plasticienne, certains éléments de la composition peuvent paraître a priori chargés de symbolisme : un escalier, une maison. Pourtant la signification se dérobe au premier regard - comme dans la logique du rêve, c’est au rêveur, c’est-à-dire à nous, de construire le sens. Pas de titre, pas de date, aucun indice. L’artiste cherche délibérément à perdre son spectateur, mais pour le rendre acteur de la signification. Impossible donc de reconnaître un lieu, un paysage dans ses photos, bien qu’elle les compose à partir de façades d’immeubles ou d’un pont de Paris, où elle a fait ses études, de Teufelsberg à Berlin, où elle vit depuis quelques années…

Rosalie Mondschein est toujours étonnée des réactions de spectateurs de ses photos; elle dit se nourrir beaucoup des conversations autour de son travail, du rapport direct avec les gens, pas de like sur Facebook. D’ailleurs, pour découvrir son travail, dans l’attente d’une première exposition, il faut aller sur son site, sur lequel elle a choisi de montrer peu de photos. Une artiste rare à découvrir et partager d’urgence.
Jean-Charles Tillet