Entre Les Lignes

La revue littéraire du festival Terres de Paroles

Texte(s)

ÉPOPÉE(S) INTIME(S)

Reality - Ce ne andiamo per non darvi altre preoccupazioni

De la Pologne communiste à la Grèce ruinée, Daria de Florian et Antonio Tagliarini composent en deux spectacles un état du monde tel qu’il est du point de vue de vies « minuscules » frappées par les drames de la Grande Histoire.

La Vie en Creux 

De la Pologne communiste à la Grèce ruinée, Daria de Florian et Antonio Tagliarini composent en deux spectacles un état du monde tel qu’il est du point de vue de vies « minuscules » frappées par les drames de la Grande Histoire.

Un espace vide éclairé, une table, quelques chaises et des acteurs. Le dispositif est le même pour que résonnent en miroir dans les deux spectacles les vies brisées des gens de peu qui y sont présentées. Dans un langage parlé / dansé, inscrit dans une quotidienneté déroutante, sans artifice, se déploient des histoires de vie dans leur intimité dévoilée sans étalage ni voyeurisme.

Reality est l’histoire de la polonaise Janina Turek qui, cinquante ans durant, a collecté dans des cahiers d’écolier à l’encre bleue les moindres faits de sa vie quotidienne : 4463 petits déjeuners, 5387 déjeuners, 5936 dîners, 38196 coups de téléphone reçus, 6257 coups de téléphone passés, 1922 rendez-vous, 110 spectacles de théâtre, 10868 cadeaux reçus, 5817 cadeaux offerts, 3517 livres lus, le dernier étant Lolita de Nabokov qu’elle avait déjà lu en 1961… le bréviaire d’une vie. 

Inspiré du premier chapitre du roman de l’écrivain grec  Petros Markaris, « l’Esattore », Ce ne andiamo per non darvi altre preoccupazioni (Nous partons pour ne plus vous donnez de soucis) mêle les lettres d’adieu à la société et au monde de quatre retraitées grecques qui s’ôtent volontairement la vie sur fond de crise économique.

Nous sommes quatre retraitées, seules. Sans enfants, sans chien. D’abord, on nous a baissé notre retraite, notre seul revenu. Puis on a eu besoin d’un médecin pour se faire prescrire des médicaments mais les médecins étaient en grève. Quand finalement on a réussi à obtenir une ordonnance, à la pharmacie on nous a dit qu’ils ne délivraient pas de médicaments parce que la mutuelle était endettée et donc on a dû les payer avec nos retraites réduites. Alors on a compris qu’on était un poids pour l’Etat, pour les médecins, pour les pharmacies et pour toute la société. 

Les histoires sont tragiques d’injustice et de petitesse et pourtant Daria de Florian, Antonio Tagliarini et leurs acteurs dépassant l’aspect documentaire sans sombrer dans la fiction mélodramatique inventent un mode de narration parlé/joué, s’impliquant eux même dans le récits et le ponctuant de fulgurantes drôleries permettant une mise à distance salvatrice et, c’est peu de le dire, réjouissante pour la pensée.

Hervé Pons Belnoue

Partager cette page :